Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/297

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— Est-ce que tes mains vont plus mal, aujourd’hui ? demanda-t-elle à son oncle.

Il regarda ses mains que les tophus envahissaient, en fit jouer péniblement les articulations.

— Non, répondit-il. La droite a même l’air plus souple… Si le curé vient, nous ferons une partie.

Puis, après un silence :

— Pourquoi me demandes-tu ça ?

Sans doute elle avait espéré qu’il ne pourrait pas écrire. Elle rougit, elle remit lâchement la lettre au lendemain en balbutiant :

— Mon Dieu ! pour savoir.

À partir de ce jour, elle perdit tout repos. Dans sa chambre, après des crises de larmes, elle arrivait à se vaincre, elle jurait de dicter au réveil la lettre à son oncle. Et, dès qu’elle rentrait dans la vie quotidienne du ménage, entre ceux qu’elle aimait, elle devenait sans force. C’étaient des petits faits insignifiants qui lui brisaient le cœur, le pain qu’elle coupait pour son cousin, les souliers du jeune homme qu’elle recommandait à la bonne, tout le train vulgaire et coutumier de la famille. On aurait pu être si heureux pourtant, dans ces vieilles habitudes du foyer ! À quoi bon appeler une étrangère ? pourquoi déranger des choses si douces, dont ils vivaient depuis tant d’années ? Et, à la pensée que ce ne serait plus elle, un jour, qui couperait ainsi le pain, qui veillerait aux vêtements, un désespoir l’étranglait, elle sentait crouler le bonheur prévu de son existence. Ce tourment, mêlé aux moindres soins qu’elle donnait à la maison, empoisonnait ses journées de ménagère active.

— Qu’y a-t-il donc ? disait-elle parfois tout haut, nous nous aimons, et nous ne sommes pas heu-