Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/311

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vaillante, sans autre faiblesse qu’un grand froid au cœur. Puis, comme on était au samedi, elle imagina de les pousser tous deux à une grande promenade, afin de se trouver seule, lorsque le docteur Cazenove viendrait. Ils partirent, et elle prit encore la précaution d’aller attendre ce dernier sur la route. Dès qu’il l’aperçut, il voulut la faire monter dans son cabriolet, pour la ramener. Mais elle le pria de descendre, ils revinrent à petits pas, tandis que Martin, à cent mètres devant eux, conduisait la voiture vide.

Et Pauline, en quelques paroles simples, vida son cœur. Elle dit tout, son projet de donner Lazare à Louise, sa volonté de quitter la maison. Cette confession lui semblait nécessaire, elle n’avait pas voulu agir dans un coup de tête, et le vieux médecin était le seul homme qui pût l’entendre.

Brusquement, Cazenove s’arrêta au milieu de la route et la saisit entre ses longs bras maigres. Il tremblait d’émotion, il lui mit un gros baiser sur les cheveux, en la tutoyant.

— Tu as raison, ma fille… Et, vois-tu, je suis enchanté, car ça pouvait finir plus mal encore. Il y a des mois que ça me tourmente, j’étais malade d’aller chez vous, tellement je te sentais malheureuse… Ah ! ils t’ont joliment dévalisée, les bonnes gens : ton argent d’abord, ton cœur ensuite…

La jeune fille tâcha de l’interrompre.

— Mon ami, je vous en supplie… Vous les jugez mal.

— Possible, ça ne m’empêche pas de me réjouir pour toi. Va, va, donne ton Lazare, ce n’est pas un beau cadeau que tu fais à l’autre… Oh ! sans doute,