Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/324

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dont il ne serait point, il méditait sournoisement d’exiger de Véronique un plat défendu, un perdreau truffé par exemple, ce qu’il ne mangeait jamais sans être certain d’une crise. Malgré tout, la jeune fille déclara qu’elle rentrerait le soir ; et elle comptait aussi être de la sorte plus libre, pour faire sa malle le lendemain, et disparaître.

Une pluie fine tombait, minuit venait de sonner, lorsque la vieille berline de Malivoire ramena Pauline le soir du mariage. Vêtue d’une robe de soie bleue, mal garantie par un petit châle, elle était frissonnante, très pâle, les mains chaudes pourtant. Dans la cuisine, elle trouva Véronique qui l’attendait, endormie sur un coin de la table ; et la chandelle qui brûlait très haute, fit battre ses yeux, d’un noir profond, comme emplis des ténèbres de la route, où ils étaient restés grands ouverts, depuis Arromanches. Elle ne put tirer que des mots sans suite de la cuisinière ensommeillée : monsieur n’avait pas été sage, maintenant il dormait, personne n’était venu. Alors, elle prit une bougie et elle monta, glacée par la maison vide, désespérée jusqu’à la mort de l’ombre et du silence qui lui écrasaient les épaules.

Au deuxième étage, elle avait hâte de se réfugier chez elle, lorsqu’un mouvement irrésistible, dont elle s’étonna, lui fit ouvrir la porte de Lazare. Elle haussa la bougie pour voir, comme si la chambre lui semblait emplie de fumée. Rien n’était changé, chaque meuble était à sa place ; et, cependant, elle avait une sensation de désastre et d’anéantissement, une peur sourde, ainsi que dans la chambre d’un mort. À pas ralentis, elle s’avança jusqu’à la table, regarda l’encrier, la plume, une page commencée qui traînait encore. Puis, elle s’en alla. C’était fini,