Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/327

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tait le bonheur d’être une femme. Ah ! misère ! la pluie rouge de la puberté tombait là, aujourd’hui, pareille aux larmes vaines que sa virginité pleurait en elle. Désormais, chaque mois ramènerait ce jaillissement de grappe mûre, écrasée aux vendanges, et jamais elle ne serait femme, et elle vieillirait dans la stérilité !

Alors, la jalousie la reprit aux entrailles, devant les tableaux que son excitation déroulait toujours. Elle voulait vivre, et vivre complètement, faire de la vie, elle qui aimait la vie ! À quoi bon être, si l’on ne donne pas son être ? Elle voyait les deux autres, une tentation de balafrer sa nudité lui faisait chercher ses ciseaux du regard. Pourquoi ne pas couper cette gorge, briser ces cuisses, achever d’ouvrir ce ventre et faire couler ce sang jusqu’à la dernière goutte ? Elle était plus belle que cette maigre fille blonde, elle était plus forte, et lui ne l’avait pas choisie cependant. Jamais elle ne le connaîtrait, rien en elle ne devait plus l’attendre, ni les bras, ni les hanches, ni les lèvres. Tout pouvait être jeté à la borne, comme un haillon vide. Était-ce possible qu’ils fussent ensemble, lorsqu’elle restait seule à grelotter de fièvre, dans cette maison froide !

Brusquement, elle s’abattit sur le lit, à plat ventre. Elle avait saisi l’oreiller dans ses bras convulsifs, elle le mordait pour étouffer ses sanglots ; et elle tâchait de tuer sa chair révoltée, en l’écrasant sur le matelas. De longues secousses la soulevaient, de la nuque aux talons. Vainement, ses paupières se serraient pour ne plus voir, elle voyait quand même, des monstruosités se levaient dans l’obscurité. Que faire ? Se crever les yeux, et voir encore, voir toujours peut-être !

Les minutes passaient, elle n’avait plus conscience