Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/362

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tombaient de nouveau, ces averses dont la violence balayait si souvent la côte, ainsi qu’une barre d’écluse qui aurait emporté la terre, la mer et le ciel, dans une vapeur grise. Lazare avait parlé de terminer sérieusement son drame, et Pauline, qu’il voulait avoir près de lui, pour l’encourager, montait son tricot, les petits bas qu’elle distribuait aux gamines du village. Mais il ne travaillait guère, dès qu’elle s’asseyait devant la table. C’étaient maintenant des causeries à voix presque basse, toujours les mêmes choses répétées sans fatigue, les yeux dans les yeux. Ils ne jouaient plus, évitaient les jeux de mains, avec la prudence instinctive des enfants grondés, qui sentent le danger des frôlements d’épaules, des effleurements d’haleine, dont ils riaient la veille encore. Rien d’ailleurs ne leur semblait plus délicieux que cette paix lasse, cette somnolence où ils glissaient, sous le roulement de la pluie, battant sans relâche les ardoises de la toiture. Un silence les faisait rougir, ils mettaient une caresse dans chaque mot, involontairement, par cette poussée qui avait peu à peu fait renaître en eux et s’épanouir les jours anciens, qu’ils croyaient morts à jamais.

Un soir, Pauline avait veillé jusqu’à minuit dans la chambre de Lazare, tricotant, pendant que, la plume tombée de ses doigts, il lui expliquait en paroles lentes ses œuvres futures, des drames peuplés de figures colossales. Toute la maison dormait, Véronique elle-même était allée se coucher de bonne heure ; et cette grande paix frissonnante de la nuit, où montait seulement la plainte accoutumée de la marée haute, les avait peu à peu pénétrés d’une sorte d’attendrissement sensuel. Lui, vidant son cœur, confessait qu’il avait manqué sa vie : si la littérature,