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LES ROUGON-MACQUART.

Mais enfin Pauline retrouvait la voix, dans une explosion de son cœur.

— Oh ! ne me faites pas cette peine, c’est moi qui dois prêter à Lazare ! Est-ce qu’il n’est pas mon frère ?… Ce serait trop vilain, si je lui refusais cet argent. Pourquoi m’en avez-vous parlé ?… Donne-lui l’argent, ma tante, donne-lui tout.

L’effort qu’elle venait de faire, noya ses yeux de larmes ; et elle souriait, confuse d’avoir hésité, encore travaillée d’un regret dont elle était désespérée. Du reste, il lui fallut batailler contre ses parents, qui s’entêtaient à prévoir les mauvais côtés de l’entreprise. En cette circonstance, ils se montrèrent d’une probité parfaite.

— Allons, viens m’embrasser, finit par dire la tante, que les larmes gagnaient. Tu es une bonne petite fille… Lazare prendra ton argent, puisque tu te fâches.

— Et moi, tu ne m’embrasses pas ? demanda l’oncle.

On pleura, on se baisa autour de la table. Puis, pendant que Véronique servait le thé et que Pauline appelait Mathieu, qui aboyait dans la cour, madame Chanteau ajouta, en s’essuyant les yeux :

— C’est une grande consolation, elle a le cœur sur la main.

— Pardi ! grogna la bonne, pour que l’autre ne donne rien, elle donnerait sa chemise.

Ce fut huit jours plus tard, un samedi, que Lazare revint à Bonneville. Le docteur Cazenove, invité à dîner, devait amener le jeune homme dans son cabriolet. Venu le premier, l’abbé Horteur, qui dînait aussi, jouait aux dames avec Chanteau, allongé dans son fauteuil de convalescent. L’attaque le tenait depuis trois mois, jamais encore il n’avait tant souffert ; et c’était le paradis maintenant, malgré les