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LA TERRE.

pêcha. L’écurie était sans doute mal fermée, soudain l’on aperçut l’âne, Gédéon, au milieu du potager, tondant gaillardement un plant de carottes. Du reste, cet âne, un gros âne, vigoureux, de couleur rousse, la grande croix grise sur l’échine, était un animal farceur, plein de malignité : il soulevait très bien les loquets avec sa bouche, il entrait chercher du pain dans la cuisine ; et, à la façon dont il remuait ses longues oreilles, quand on lui reprochait ses vices, on sentait qu’il comprenait. Dès qu’il se vit découvert, il prit un air indifférent et bonhomme ; ensuite, menacé de la voix, chassé du geste, il fila ; mais, au lieu de retourner dans la cour, il trotta par les allées, jusqu’au fond du jardin. Alors, ce fut une vraie poursuite ; et, lorsque Françoise l’eut enfin saisi, il se ramassa, rentra le cou et les jambes dans son corps, pour peser plus lourd et avancer moins vite. Rien n’y faisait, ni les coups de pied, ni les douceurs. Il fallut que Jean s’en mêlât, le bousculât par derrière de ses bras d’homme ; car, depuis qu’il était commandé par deux femmes, Gédéon avait conçu d’elles le plus complet mépris. Jules s’était réveillé au bruit, et hurlait. L’occasion était perdue, le jeune homme dut partir ce jour-là, sans avoir parlé.

Huit jours se passèrent, une grande timidité avait envahi Jean, qui, à cette heure, n’osait plus. Ce n’était pas que l’affaire lui semblât mauvaise : à la réflexion, il en avait au contraire mieux senti les avantages. D’un côté et de l’autre, on n’aurait qu’à y gagner. Si lui ne possédait rien, elle avait l’embarras de son mioche : cela égalisait les parts ; et il ne mettait là aucun vilain calcul, il raisonnait autant pour son bonheur, à elle, que pour le sien. Puis, le mariage, en le forçant à quitter la ferme, le débarrasserait de Jacqueline, qu’il revoyait, par lâcheté du plaisir. Donc, il était bien résolu, et il attendait l’occasion de se déclarer, cherchant les mots qu’il dirait, en garçon que même le régiment avait laissé capon avec les femmes.

Un jour, enfin, Jean, vers quatre heures, s’échappa de la ferme, résolu à parler. Cette heure était celle où Fran-