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LES ROUGON-MACQUART.

Et il remonta en courant. C’était un grand fouet de roulier, qu’il avait accroché derrière sa porte, à gauche, pour ces occasions.

Mais la Trouille avait dû entendre. Il y eut, sous les feuilles, un long froissement, un bruit de fuite ; et, deux minutes plus tard, Victor reparut, d’un pas nonchalant. Il examina sa faux, il se remit enfin à la besogne. Et, comme Jean, de loin, lui demandait s’il avait la colique, il répondit :

— Juste !

La meule allait être finie, haute de quatre mètres, solide, arrondie en forme de ruche. Palmyre, de ses longs bras maigres, lança les dernières bottes, et Françoise, debout à la pointe, apparut alors grandie sur le ciel pâle, dans la clarté fauve du soleil couchant. Elle était tout essoufflée, toute vibrante de son effort, trempée de sueur, les cheveux collés à la peau, et si défaite, que son corsage bâillait sur sa petite gorge dure, et que sa jupe, aux agrafes arrachées, glissait de ses hanches.

— Oh ! la, que c’est haut !… La tête me tourne.

Et elle riait avec un frisson, hésitante, n’osant plus descendre, avançant un pied qu’elle retirait vite.

— Non, c’est trop haut. Va quérir une échelle.

— Mais, bête ! dit Jean, assieds-toi donc, laisse-toi glisser !

— Non, non, j’ai peur, je ne peux pas !

Alors, ce furent des cris, des exhortations, des plaisanteries grasses. Pas sur le ventre, ça le ferait enfler ! Sur le derrière, à moins qu’elle n’y eût des engelures ! Et lui, en bas, s’excitait, les regards levés vers cette fille dont il apercevait les jambes, peu à peu exaspéré de la voir si haut, hors de sa portée, pris inconsciemment d’un besoin de mâle, la rattraper et la tenir.

— Quand je te dis que tu ne te rompras rien !… Déboule, tu tomberas dans mes bras.

— Non, non !

Il s’était placé devant la meule, il élargissait les bras, lui offrait sa poitrine, pour qu’elle se jetât. Et, lorsque, se