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LES ROUGON-MACQUART.

les prochaines élections et la question du fameux chemin de Rognes à Châteaudun, qui soufflèrent un terrible vent de commérages. Les cruches pleines restaient en ligne, les femmes ne s’en allaient plus. On faillit se battre, un samedi soir.

Or, justement, le lendemain, M. de Chédeville, député sortant, déjeunait à la Borderie, chez Hourdequin. Il faisait sa tournée électorale et il ménageait ce dernier, très puissant sur les paysans du canton, bien qu’il fût certain d’être réélu, grâce à son titre de candidat officiel. Il était allé une fois à Compiègne, tout le pays l’appelait « l’ami de l’empereur », et cela suffisait : on le nommait, comme s’il eût couché chaque soir aux Tuileries. Ce M. de Chédeville, un ancien beau, la fleur du règne de Louis-Philippe, gardait au fond du cœur des tendresses orléanistes. Il s’était ruiné avec les femmes, il ne possédait plus que sa ferme de la Chamade, du côté d’Orgères, où il ne mettait les pieds qu’en temps d’élection, mécontent du reste des fermages qui baissaient, pris sur le tard de l’idée pratique de refaire sa fortune dans les affaires. Grand, élégant encore, le buste sanglé et les cheveux teints, il se rangeait, malgré ses yeux de braise au passage du dernier des jupons ; et il préparait, disait-il, des discours importants sur les questions agricoles.

La veille, Hourdequin avait eu une violente querelle avec Jacqueline, qui voulait être du déjeuner.

— Ton député, ton député ! est-ce que tu crois que je le mangerais ?… Alors, tu as honte de moi ?

Mais il tint bon, il n’y eut que deux couverts, et elle boudait, malgré l’air galant de M. de Chédeville, qui, l’ayant aperçue, avait compris, et tournait sans cesse les yeux vers la cuisine, où elle était allée se renfermer dans sa dignité.

Le déjeuner tirait à sa fin, une truite de l’Aigre après une omelette, et des pigeons rôtis.

— Ce qui nous tue, dit M. de Chédeville, c’est cette liberté commerciale, dont l’empereur s’est engoué. Sans doute, les choses ont bien marché à la suite des traités de