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LES ROUGON-MACQUART.

part, sous cloche… Laquelle des deux l’emportera ? Du diable si je m’en doute ! Je sais bien, comme je vous le disais, que, tous les ans, de grandes fermes ruinées se démembrent autour de moi, aux mains de bandes noires, et que la petite propriété gagne certainement du terrain. Je connais, en outre, à Rognes, un exemple très curieux, une vieille femme qui tire de moins d’un arpent, pour elle et son homme, un vrai bien-être, même des douceurs : oui, la mère Caca, comme ils l’ont surnommée, parce qu’elle ne recule pas à vider son pot et celui de son vieux dans ses légumes, selon la méthode des Chinois, paraît-il. Mais ce n’est guère là que du jardinage, je ne vois pas les céréales poussant par planches, comme les navets ; et si, pour se suffire, le paysan doit produire de tout, que deviendraient donc nos Beaucerons, avec leur blé unique, dans notre Beauce, découpée en damier ?… Enfin, qui vivra verra bien à qui sera l’avenir, de la grande ou de la petite…

Il s’interrompit, criant :

— Et ce café, est-ce pour aujourd’hui ?

Puis, en allumant sa pipe, il conclut :

— À moins qu’on ne les tue l’une et l’autre, tout de suite ; et c’est ce qu’on est en train de faire… Dites-vous, monsieur le député, que l’agriculture agonise, qu’elle est morte, si l’on ne vient pas à son secours. Tout l’écrase, les impôts, la concurrence étrangère, la hausse continue de la main-d’œuvre, l’évolution de l’argent qui va vers l’industrie et vers les valeurs financières. Ah ! certes, on n’est pas avare de promesses, chacun les prodigue, les préfets, les ministres, l’empereur. Et puis, la route poudroie, rien n’arrive… Voulez-vous la stricte vérité ? Aujourd’hui, un cultivateur qui tient le coup, mange son argent ou celui des autres. Moi, j’ai quelques sous en réserve, ça va bien. Mais que j’en connais qui empruntent à six, lorsque leur terre ne donne pas seulement le trois ! La culbute est fatalement au bout. Un paysan qui emprunte est un homme fichu, il doit y laisser jusqu’à sa chemise. L’autre semaine encore, on a expulsé un de mes voisins,