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LA TERRE.

disputé, chacun l’emmenant, ayant une réclamation à présenter, une faveur à obtenir. L’un l’avait traîné à la mare commune, qu’on ne curait plus par manque d’argent ; l’autre voulait un lavoir couvert au bord de l’Aigre, à une place qu’il indiquait ; un troisième réclamait l’élargissement de la route devant sa porte, pour que sa voiture pût tourner ; jusqu’à une vieille femme, qui, après avoir poussé le député chez elle, lui montra ses jambes enflées, en lui demandant si, à Paris, il ne connaissait point un remède. Effaré, essoufflé, il souriait, faisait le débonnaire, promettait toujours. Ah ! un brave homme, pas fier avec le pauvre monde !

— Eh bien ! partons-nous ? demanda Hourdequin. On m’attend à la ferme.

Mais justement, Cœlina et sa fille Berthe accouraient de nouveau sur leur porte, en suppliant M. de Chédeville d’entrer un instant ; et celui-ci n’aurait pas mieux demandé, respirant enfin, soulagé de retrouver les jolis yeux clairs et meurtris de la jeune personne.

— Non, non ! reprit le fermier, nous n’avons pas le temps, une autre fois !

Et il le força, étourdi, à remonter dans le cabriolet ; pendant que, sur une interrogation du curé resté là, il répondait que le conseil avait laissé en l’état la question de la paroisse. Le cocher fouetta son cheval, la voiture fila, au milieu du village familier et ravi. Seul furieux, l’abbé refit à pied ses trois kilomètres, de Rognes à Bazoches-le-Doyen.

Quinze jours plus tard, M. de Chédeville était nommé à une grande majorité ; et, dès la fin d’août, il avait tenu sa promesse, la subvention était accordée à la commune, pour l’ouverture de la nouvelle route. Les travaux commencèrent tout de suite.

Le soir du premier coup de pioche, Cœlina, maigre et noire, était à la fontaine, à écouter la Bécu, qui, longue, les mains nouées sous son tablier, parlait sans fin. Depuis une semaine, la fontaine se trouvait révolutionnée par cette grosse affaire du chemin : on ne parlait que de l’ar-