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LES ROUGON-MACQUART.

mure forte piquait à la gorge. Et la rue Grande, si déserte en semaine, malgré ses beaux magasins, sa pharmacie, sa quincaillerie, surtout ses Nouveautés parisiennes, le bazar de Lambourdieu, n’était pas assez large chaque samedi, les boutiques combles, la chaussée barrée par l’envahissement des marchandes.

Lise et Françoise, suivies par Jean, poussèrent de la sorte jusqu’au marché à la volaille, qui était rue Beaudonnière. Là, des fermes avaient envoyé de vastes paniers à claire-voie, où chantaient des coqs et d’où sortaient des cous effarés de canards. Des poulets morts et plumés s’alignaient dans des caisses, par lits profonds. Puis, c’étaient encore des paysannes, chacune apportant ses quatre ou cinq livres de beurre, ses quelques douzaines d’œufs, ses fromages, les grands maigres, les petits gras, les affamés, gris de cendre. Plusieurs étaient venues avec deux couples de poules liées par les pattes. Des dames marchandaient, un gros arrivage d’œufs attroupait du monde devant une auberge, Au Rendez-vous des poulaillers. Justement, parmi les hommes qui déchargeaient les œufs, se trouvait Palmyre ; car, le samedi, lorsque le travail manquait à Rognes, elle se louait à Cloyes, portant des fardeaux à se rompre les reins.

— En voilà une qui gagne son pain ! fit remarquer Jean.

La foule augmentait toujours. Il arrivait encore des voitures par la route de Mondoubleau. Elles défilaient au petit trot sur le pont. À droite et à gauche, le Loir se déroulait, avec ses courbes molles, coulant au ras des prairies, bordé à gauche des jardins de la ville, dont les lilas et les faux-ébéniers laissaient pendre leurs branches dans l’eau. En amont, il y avait un moulin à tan, au tic tac sonore, et un grand moulin à blé, un vaste bâtiment que les souffleurs, sur les toits, blanchissaient d’un vol continu de farine.

— Eh bien ! reprit Jean, y allons-nous ?

— Oui, oui.

Et ils revinrent par la rue Grande, ils s’arrêtèrent