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LES ROUGON-MACQUART.

s’obstinant dans des idées à lui, qui n’étaient celles de personne. Même gamin, il n’avait pu s’entendre avec ses parents ; et, plus tard, après avoir tiré un bon numéro, il s’était sauvé de chez eux, pour se louer, d’abord à la Borderie, ensuite à la Chamade.

Mais, comme le père continuait de gronder, il entra, vif et gai. Chez lui, le grand nez des Fouan s’était aplati, tandis que le bas de la figure, les maxillaires s’avançaient en mâchoires puissantes de carnassier. Les tempes fuyaient, tout le haut de la tête se resserrait, et derrière le rire gaillard de ses yeux gris, il y avait déjà de la ruse et de la violence. Il tenait de son père le désir brutal, l’entêtement dans la possession, aggravés par l’avarice étroite de la mère. À chaque querelle, lorsque les deux vieux l’accablaient de reproches, il leur répondait : « Fallait pas me faire comme ça ! »

— Dites donc, il y a cinq lieues de la Chamade à Cloyes, répondit-il aux grognements. Et puis, quoi ? j’arrive en même temps que vous… Est-ce qu’on va encore me tomber sur le dos ?

Maintenant, tous se disputaient, criaient de leurs voix perçantes et hautes, habituées au plein vent, débattaient leurs affaires, absolument comme s’ils se fussent trouvés chez eux. Les clercs, incommodés, leur jetaient des regards obliques, lorsque le notaire vint au bruit, ouvrant de nouveau la porte de son cabinet.

— Vous y êtes tous ? Allons, entrez !

Ce cabinet donnait sur le jardin, la mince bande de terre qui descendait jusqu’au Loir, dont on apercevait, au loin, les peupliers sans feuilles. Ornant la cheminée, il y avait une pendule de marbre noir, entre des paquets de dossiers ; et rien autre que le bureau d’acajou, un cartonnier et des chaises.

Tout de suite, M. Baillehache s’était installé à ce bureau, comme à un tribunal ; tandis que les paysans, entrés à la queue, hésitaient, louchaient en regardant les sièges, avec l’embarras de savoir où et comment ils devaient s’asseoir.