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LA TERRE.

à noyer la veille, parce qu’il coûtait trop pour eux, maintenant.

— Je leur ai tout donné, cria le vieux, et les bougres se foutent de moi !… Ah ! ça nous tuera, tant nous rageons à nous voir dans cette misère !

Ils s’arrêtèrent enfin, et la Grande, qui n’avait pas desserré les lèvres, les regarda l’un après l’autre, de ses yeux ronds d’oiseau mauvais.

— C’est bien fait ! dit-elle.

Mais, juste à ce moment, Buteau entra. Palmyre, ayant terminé son travail, en profita pour s’échapper, avec les quinze sous que Rose venait de lui mettre dans la main. Et Buteau, debout au milieu de la pièce, se tint immobile, dans ce silence prudent du paysan qui ne veut jamais parler le premier. Deux minutes s’écoulèrent. Le père fut forcé d’entamer les choses.

— Alors, tu te décides, c’est heureux… Depuis dix jours, tu te fais bien attendre.

L’autre se dandinait.

— Quand on peut, on peut. Chacun sait comment son pain cuit.

— Possible, mais à ce compte-là, si ça durait, pendant que tu en mangerais, du pain, nous crèverions, nous autres… Tu as signé, tu dois payer au jour et à l’heure.

En voyant son père se fâcher, Buteau plaisanta.

— Dites donc, si j’arrive trop tard, je m’en retourne… Ce n’est donc pas déjà très gentil, de payer ? Il y en a qui s’en passent.

Cette allusion à Jésus-Christ inquiéta Rose, qui se permit de tirer la veste de son homme. Il retint un geste de colère, il reprit :

— C’est bon, donne tes cinquante francs, j’ai préparé le reçu.

Sans se presser, Buteau se fouilla. Il avait eu, sur la Grande, un coup d’œil de contrariété, l’air gêné par sa présence. Elle en abandonnait son tricot, elle regardait de ses prunelles fixes, dans l’attente de voir l’argent. Le père et la mère, eux aussi, s’étaient rapprochés, ne