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LA TERRE.

bois, au bord de l’Aigre. En effet, ils l’y attendaient ; et ce fut le tour de son cousin Nénesse. Lui, avait trois francs, l’autre, six sous. Lorsque Delphin lui eut rendu sa pièce, elle décida en bonne fille qu’on mangerait le tout ensemble. Ils revinrent vers la fête, elle leur fit tirer des macarons, après s’être acheté un gros nœud de satin rouge, qu’elle se piqua dans les cheveux.

Cependant, Jésus-Christ arrivait chez Lengaigne, quand il rencontra Bécu, qui avait sa plaque astiquée sur une blouse neuve. Il l’apostropha violemment.

— Dis donc, toi, si c’est comme ça que tu fais ta tournée !… Sais-tu où je l’ai trouvé, ton Delphin ?

— Où ça ?

— Sur ma fille… Je vas écrire au préfet, pour qu’il te casse, père de cochon, cochon toi-même !

Du coup, Bécu se fâcha.

— Ta fille, je ne vois que ses jambes en l’air… Ah ! elle a débauché Delphin. Du tonnerre de Dieu si je ne la fais pas emballer par les gendarmes !

— Essaye donc, brigand !

Les deux hommes, nez à nez, se mangeaient. Et, brusquement, il y eut une détente, leur fureur tomba.

— Faut s’expliquer, entrons boire un verre, dit Jésus-Christ.

— Pas le sou, dit Bécu.

Alors, l’autre, très gai, sortit une première pièce de cinq francs, la fit sauter, se la planta dans l’œil.

— Hein ? cassons-la, père la Joie !… Entre donc, vieille tripe ! C’est mon tour, tu payes assez souvent.

Ils entrèrent chez Lengaigne, ricanant d’aise, se poussant d’une grande tape affectueuse. Cette année-là, Lengaigne avait eu une idée : comme le propriétaire du bal forain refusait de venir monter sa baraque, dégoûté de n’avoir pas fait ses frais, l’année précédente, le cabaretier s’était lancé à installer un bal dans sa grange, contiguë à la boutique, et dont la porte charretière ouvrait sur la route ; même il avait percé la cloison, les deux salles communiquaient maintenant. Et cette idée lui attirait la