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LA TERRE.

— Fifille ! appela Jésus-Christ. Fifille, viens me goûter ça… Hein ? c’est du fameux !

Il la fit boire dans son verre, tandis que la Bécu demandait sévèrement à Delphin :

— Qu’est-ce que t’as fait de ta casquette ?

— Je l’ai perdue.

— Perdue !… Avance ici que je te gifle !

Mais Bécu intervint, ricanant et flatté au souvenir des gaillardises précoces de son fils.

— Lâche-le donc ! le v’là qui pousse… Alors, vermines, vous fricassez ensemble ?… Ah ! le bougre, ah ! le bougre !

— Allez jouer, conclut paternellement Jésus-Christ. Et soyez sages.

— Ils sont soûls comme des cochons, dit Nénesse d’un air dégoûté, en rentrant dans le bal.

La Trouille se mit à rire.

— Tiens ! j’te crois ! j’y comptais bien… C’est pour ça qu’ils sont gentils.

Le bal s’animait, on n’entendait que le trombone de Clou, pétaradant et étouffant le jeu grêle du petit violon. La terre battue, trop arrosée, faisait boue sous les lourdes semelles ; et, bientôt, de toutes les cottes remuées, des vestes et des corsages que mouillaient, aux aisselles, de larges taches de sueur, il monta une violente odeur de bouc, qu’accentuait l’âcreté filante des lampes. Mais, entre deux quadrilles, une chose émotionna, l’entrée de Berthe, la fille aux Macqueron, vêtue d’une toilette de foulard, pareille à celles que les demoiselles du percepteur portaient à Cloyes, le jour de la Saint-Lubin. Quoi donc ? ses parents lui avaient-ils permis de venir ? ou bien, derrière leur dos, s’était-elle échappée ? Et l’on remarqua qu’elle dansait uniquement avec le fils d’un charron, que son père lui avait défendu de voir, à cause d’une haine de famille. On en plaisantait : paraît que ça ne l’amusait plus, de se détruire la santé toute seule !

Jésus-Christ, depuis un instant, bien qu’il fût très gris, s’était avisé de la sale tête de Lequeu, planté à la porte de