Page:Emile Zola - La Terre.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
LA TERRE.

Et une première discussion s’engagea sur les chiffres. Il y avait un setier de vigne : ça, oui, on l’aurait loué cinquante francs. Mais est-ce qu’on aurait jamais trouvé ce prix pour les douze setiers de terre de labour, et surtout pour les six setiers de prairies naturelles, ces prés du bord de l’Aigre, dont le foin ne valait rien ? Les terres de labour elles-mêmes n’étaient guère bonnes, un bout principalement, celui qui longeait le plateau, car la couche arable s’amincissait à mesure qu’on approchait du vallon.

— Voyons, papa, dit Fanny d’un air de reproche, il ne faut pas nous fiche dedans.

— Ça vaut cent francs l’hectare, répétait le vieux avec obstination en se donnant des claques sur la cuisse. Demain, je louerai à cent francs, si je veux… Et qu’est-ce que ça vaut donc, pour vous autres ? Dites un peu voir ce que ça vaut ?

— Ça vaut soixante francs, dit Buteau.

Fouan, hors de lui, maintenait son prix, entrait dans un éloge outré de sa terre, une si bonne terre, qui donnait du blé toute seule, lorsque Delhomme, silencieux jusque-là, déclara avec son grand accent d’honnêteté :

— Ça vaut quatre-vingts francs, pas un sou de plus, pas un sou de moins.

Tout de suite, le vieux se calma.

— Bon ! mettons quatre-vingts, je veux bien faire un sacrifice pour mes enfants.

Mais Rose, qui l’avait tiré par un coin de sa blouse, lâcha un seul mot, la révolte de sa ladrerie :

— Non, non !

Jésus-Christ s’était désintéressé. La terre ne lui tenait plus au cœur, depuis ses cinq ans d’Afrique. Il ne brûlait que d’un désir, avoir sa part, pour battre monnaie. Aussi continuait-il à se dandiner d’un air goguenard et supérieur.

— J’ai dit quatre-vingts, criait Fouan, c’est quatre-vingts ! Je n’ai jamais eu qu’une parole : devant Dieu, je le jure !… Neuf hectares et demi, voyons, ça fait sept cent soixante francs, en chiffres ronds huit cents… Eh bien !