Page:Emile Zola - La Terre.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
LA TERRE.

ses farces : il embrassa la Bécu, dont le mari dormait sur la table, assommé ; il acheva le punch, en buvant au saladier. Les rires avaient repris, dans la fumée épaisse.

Au fond de la grange, on dansait toujours, Clou enflait les accompagnements de son trombone, dont le tonnerre étouffait le chant grêle du petit violon. La sueur coulait des corps, ajoutait son âcreté à la puanteur filante des lampes. On ne voyait plus que le nœud rouge de la Trouille, qui tournait aux bras de Nénesse et de Delphin, à tour de rôle. Berthe, elle aussi, était encore là, fidèle à son galant, ne dansant qu’avec lui. Dans un coin, des jeunes gens qu’elle avait éconduits, ricanaient : dame ! si ce godiche ne tenait pas à ce qu’elle en eût, elle avait raison de le garder, car on en connaissait d’autres qui, malgré son argent, auraient bien sûr attendu qu’il lui en poussât, pour voir à l’épouser.

— Allons dormir, dit Fouan à Jean et à Delhomme.

Puis, dehors, lorsque Jean les eut quittés, le vieux marcha en silence, ayant l’air de ruminer les choses qu’il venait d’entendre ; et, brusquement, comme si ces choses l’avaient décidé, il se tourna vers son gendre.

— Je vas vendre la cambuse, et j’irai vivre chez vous. C’est fait… Adieu !

Lentement, il rentra seul. Mais son cœur était gros, ses pieds butaient sur la route noire, une tristesse affreuse le faisait chanceler, ainsi qu’un homme ivre. Déjà il n’avait plus de terre, et bientôt il n’aurait plus de maison. Il lui semblait qu’on sciait les vieilles poutres, qu’on enlevait les ardoises, au-dessus de sa tête. Désormais, il n’avait pas même une pierre où s’abriter, il errait par les campagnes comme un pauvre, nuit et jour, continuellement ; et, quand il pleuvrait, la pluie froide, la pluie sans fin, tomberait sur lui.