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LA TERRE.

surtout que Jean charriait des gerbes, près du champ des Buteau, dans une pièce de la ferme, où l’on devait élever une grande meule, haute de huit mètres, forte de trois mille bottes. Les chaumes se fendaient de sécheresse, et sur les blés encore debout, immobiles, l’air brûlait : on aurait dit qu’ils flambaient eux-mêmes d’une flamme visible, dans la vibration du soleil. Et pas une fraîcheur de feuillage, rien que l’ombre courte des hommes, à terre. Depuis le matin, sous ce feu du ciel, Jean en sueur chargeait, déchargeait sa voiture, sans une parole, avec un seul coup d’œil, à chaque voyage, vers la pièce, où, derrière Buteau qui fauchait, Françoise ramassait, courbée en deux.

Buteau avait dû louer Palmyre, pour aider. Françoise ne suffisait pas, et il n’avait point à compter sur Lise, qui était enceinte de huit mois. Cette grossesse l’exaspérait. Lui qui prenait tant de précautions ! comment ce bougre d’enfant se trouvait-il là ? Il bousculait sa femme, l’accusait de l’avoir fait exprès, geignait pendant des heures, comme si un pauvre, un animal errant se fût introduit chez lui, pour manger tout ; et, après huit mois, il en était à ne pouvoir regarder le ventre de Lise sans l’insulter : foutu ventre ! plus bête qu’une oie ! la ruine de la maison ! Le matin, elle était venue ramasser ; mais il l’avait renvoyée, furieux de sa lourdeur maladroite. Elle devait revenir et apporter le goûter de quatre heures.

— Nom de Dieu ! dit Buteau, qui s’entêtait à finir un bout du champ, j’ai le dos cuit, et ma langue est un vrai copeau.

Il se redressa, les pieds nus dans de gros souliers, vêtu seulement d’une chemise et d’une cotte de toile, la chemise ouverte, à moitié hors de la cotte, laissant voir jusqu’au nombril les poils suants de la poitrine.

— Faut que je boive encore !

Et il alla prendre sous sa veste un litre de cidre, qu’il avait abrité là. Puis, quand il eut avalé deux gorgées de cette boisson tiède, il songea à la petite.

— Tu n’as pas soif ?