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LA TERRE.

batteuse, qui fonctionnait encore dans le jour finissant. Il songeait que c’était fichu, qu’il ne pourrait revoir les Buteau, que jamais on ne lui donnerait Françoise. Était-ce bête ! dix minutes venaient de suffire : une querelle qu’il n’avait pas cherchée, un coup si malheureux, juste au moment où les choses marchaient ! et jamais, jamais plus, maintenant ! Le ronflement de la machine, au fond du crépuscule, se prolongeait comme une grande plainte de détresse.

Mais il y eut une rencontre. Les oies de la Trouille, qu’elle rentrait, se trouvèrent, à l’angle d’un carrefour, en face des oies du père Saucisse, qui redescendaient toutes seules au village. Les deux jars, en tête, s’arrêtèrent brusquement, hanchant sur une patte, leurs grands becs jaunes tournés l’un vers l’autre ; et les becs de chaque bande, tous à la fois, suivirent le bec de leur chef, tandis que les corps hanchaient du même côté. Un instant, l’immobilité fut complète, on eût dit une reconnaissance en armes, deux patrouilles échangeant le mot d’ordre. Puis, l’œil rond et satisfait, l’un des jars continua tout droit, l’autre jars prit à gauche ; tandis que chaque troupe filait derrière le sien, allant à ses affaires, d’un déhanchement uniforme.