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LES ROUGON-MACQUART.

Mathias, un bossu qui est mort ; plus tard, un jour qu’elle pétrissait, contre le pétrin même, avec un galopin, le petit porcher Guillaume, soldat aujourd’hui ; et avec tous les valets qui ont passé, et dans tous les coins, sur de la paille, sur des sacs, par terre… D’ailleurs, pas besoin de chercher si loin. Si tu veux en causer, il y en a un là que j’ai aperçu un matin dans le fenil en train de la recoudre, solidement !

Il lâcha un nouveau rire, et le regard oblique qu’il jeta sur Jean, gêna beaucoup ce dernier, qui se taisait en arrondissant le dos, depuis qu’on parlait de Jacqueline.

— Que quelqu’un essaye voir à la toucher, maintenant ! gronda Tron, secoué d’une colère de chien à qui on retire un os. Je lui ferai passer le goût du pain, à celui-là !

Soulas l’examina un instant, surpris de cette jalousie de brute. Puis, retombé dans l’hébétement de ses longs silences, il conclut de sa voix brève :

— Ça te regarde, mon fils.

Lorsque Tron eut rejoint la voiture qu’il conduisait au moulin, Jean demeura quelques minutes encore avec le berger, pour l’aider à enfoncer au maillet certaines des crosses ; et celui-ci, qui le voyait si muet, si triste, finit par reprendre :

— Ce n’est pas la Cognette au moins qui te met le cœur à l’envers ?

Le garçon répondit non, d’un branle énergique de la tête.

— Alors, c’est une autre ?… Quelle autre donc, que je ne vous ai jamais aperçus ensemble ?

Jean regardait le père Soulas, en se disant que les vieux, dans ces choses, sont parfois de bon conseil. Il céda aussi à un besoin d’expansion, il lui conta toute l’affaire, comment il avait eu Françoise, et pourquoi il désespérait de la ravoir, après la batterie avec Buteau. Même, un instant, il avait craint que celui-ci ne le menât en justice, à cause de son bras cassé, qui lui interdisait tout travail, bien qu’à moitié raccommodé déjà. Mais Buteau, sans doute, avait pensé qu’il n’est jamais bon de laisser la justice mettre le nez chez soi.