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LA TERRE.

soulevait très bien les loquets avec la bouche ; mais, ce baquet l’intriguant, il s’approcha, il reconnut un baquet de la cave, qu’on avait laissé plein de vin de pressoir, pour achever de remplir les tonneaux. Nom de Dieu de Gédéon ! il le vidait !

— Eh ! Buteau, arrive !… Il en fait un commerce, ton âne !

Buteau parut sur le seuil de la cuisine.

— Quoi donc ?

— Le v’là qu’a tout bu !

Gédéon, au milieu de ces cris, finissait de pomper le liquide avec tranquillité. Peut-être bien qu’il sirotait ainsi depuis un quart d’heure, car le petit baquet contenait aisément une vingtaine de litres. Tout y avait passé, son ventre s’était arrondi comme une outre, à éclater du coup ; et, quand il releva enfin la tête, on vit son nez ruisseler de vin, son nez de pochard, où une raie rouge, sous les yeux, indiquait qu’il l’avait enfoncé jusque-là.

— Ah ! le jean-foutre ! gueula Buteau en accourant. C’est de ses tours ! Y a pas de gueux pareil pour les vices !

Lorsqu’on lui reprochait ses vices, Gédéon, d’habitude, avait l’air de s’en ficher, les oreilles élargies et obliques. Cette fois, étourdi, perdant tout respect, il ricana positivement, il dodelina du râble, pour exprimer la jouissance sans remords de sa débauche ; et, son maître le bousculant, il trébucha.

Fouan avait dû le caler de l’épaule.

— Mais le sacré cochon est soûl à crever !

— Soûl comme une bourrique, c’est le cas de le dire, fit remarquer Jésus-Christ, qui le contemplait d’un œil d’admiration fraternelle. Un baquet d’un coup, quel goulot !

Buteau, lui, ne riait guère, pas plus que Lise et que Françoise, accourues au bruit. D’abord, il y avait le vin perdu ; puis, ce n’était pas tant la perte que la confusion où les jetait cette vilaine conduite de leur âne, devant les Charles. Déjà ceux-ci pinçaient les lèvres, à cause d’Élodie. Pour comble de malheur, le hasard voulut que Suzanne et Berthe, qui se promenaient ensemble, rencontrassent l’abbé