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LES ROUGON-MACQUART.

née de simple surveillance ne sera plus que de quatre heures ; peut-être même qu’on arrivera à se croiser complètement les bras. Et partout des plaisirs, tous les besoins cultivés et contentés, oui ! de la viande, du vin, des femmes, trois fois davantage qu’on n’en peut prendre aujourd’hui, parce qu’on se portera mieux. Plus de pauvres, plus de malades, plus de vieux, à cause de l’organisation meilleure, de la vie moins dure, des bons hôpitaux, des bonnes maisons de retraite. Un paradis ! toute la science mise à se la couler douce ! la vraie jouissance enfin d’être vivant !

Buteau, emballé, donna un coup de poing sur une table, en gueulant :

— L’impôt, foutu ! le tirage au sort, foutu ! tous les embêtements, foutus ! rien que le plaisir !… Je signe.

— Bien sûr, déclara Delhomme sagement. Faudrait être l’ennemi de son corps pour ne pas signer.

Fouan approuva, ainsi que Macqueron, Clou et les autres. Bécu, stupéfié, bouleversé dans ses idées autoritaires, vint demander tout bas à Hourdequin s’il ne fallait pas coffrer ce brigand, qui attaquait l’empereur. Mais le fermier le calma d’un haussement d’épaules. Ah ! oui, le bonheur ! on le rêvait par la science après l’avoir rêvé par le droit : c’était peut-être plus logique, ça n’était toujours pas pour le lendemain. Et il partait de nouveau, il appelait Jean, tout à la discussion, lorsque Lequeu céda brusquement à son besoin de s’en mêler, dont il étouffait, comme d’une rage contenue.

— À moins, lâcha-t-il de sa voix aigre, que vous ne soyez tous crevés avant ces belles affaires… Crevés de faim ou crevés à coups de fusil par les gendarmes, si la faim vous rend méchants…

On le regardait, on ne comprenait pas.

— Certainement que, si le blé continue à venir d’Amérique, il n’existera plus dans cinquante ans un seul paysan en France… Est-ce que notre terre pourra lutter avec celle de là-bas ? À peine commencerons-nous à y essayer la vraie culture, que nous serons inondés de grains… J’ai lu