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LES ROUGON-MACQUART.

— Oui, je veux, dit Françoise. Je veux tout ce qui est à moi.

— Et ce qu’elle a mangé, alors ? cria Buteau hors de lui. Ça ne traînait pas avec elle, le pain et la viande. On peut la tâter, elle n’est pas grasse de lécher les murs, la feignante !

— Et le linge, et les robes ? continua furieusement Lise. Et le blanchissage ? qu’en deux jours elle vous salissait une chemise, tellement elle suait !

Françoise, vexée, répondit :

— Si je suais tant que ça, c’est donc que je travaillais.

— La sueur, ça sèche, ça ne salit pas, ajouta la Grande.

De nouveau, M. Baillehache intervint. Et il leur expliqua que c’était un compte à faire, les gages d’un côté, la nourriture et l’entretien de l’autre. Il avait pris une plume, il essaya d’établir ce compte, sur leurs indications. Mais ce fut terrible. Françoise, soutenue par la Grande, avait des exigences, estimait son travail très cher, énumérait tout ce qu’elle faisait dans la maison, et les vaches, et le ménage, et la vaisselle, et les champs, où son beau-frère l’employait comme un homme. De leur côté, les Buteau, exaspérés, grossissaient la note des frais, comptaient les repas, mentaient sur les vêtements, réclamaient jusqu’à l’argent des cadeaux faits aux jours de fête. Pourtant, malgré leur âpreté, il arriva qu’ils redevaient cent quatre vingt-six francs. Ils en restèrent les mains tremblantes, les yeux enflammés, cherchant encore ce qu’ils pourraient déduire.

On allait accepter le chiffre, lorsque Buteau cria :

— Minute ! et le médecin, quand elle a eu son sang arrêté… Il est venu deux fois. Ça fait six francs.

La Grande ne voulut pas qu’on tombât d’accord sur cette victoire des autres, et elle bouscula Fouan, exigeant qu’il se souvînt des journées que la petite avait faites pour la ferme, autrefois, lorsqu’il demeurait dans la maison. Était-ce cinq ou six journées à trente sous ? Françoise criait six, Lise cinq, violemment, comme si elles se fussent jeté des pierres. Et le vieux, éperdu, donnait raison à l’une, don-