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LES ROUGON-MACQUART.

nière, suivie de la fille qui s’épuisait à la retenir. Il craignit un malheur, il cria :

— Lâche-la donc !

Elle n’en faisait rien, elle haletait, injuriait sa vache, d’une voix de colère et d’épouvante.

— La Coliche ! veux-tu bien, la Coliche !… Ah ! sale bête !… Ah ! sacrée rosse !

Jusque-là, courant et sautant de toute la longueur de ses petites jambes, elle avait pu la suivre. Mais elle buta, tomba une première fois, se releva pour retomber plus loin ; et, dès lors, la bête s’affolant, elle fut traînée. Maintenant, elle hurlait. Son corps, dans la luzerne, laissait un sillage.

— Lâche-la donc, nom de Dieu ! continuait à crier Jean. Lâche-la donc !

Et il criait cela machinalement, par terreur ; car il courait lui aussi, en comprenant enfin : la corde devait s’être nouée autour du poignet, serrée davantage à chaque nouvel effort. Heureusement, il coupa au travers d’un labour, arriva d’un tel galop devant la vache, que celle-ci, effrayée, stupide, s’arrêta net. Déjà, il dénouait la corde, il asseyait la fille dans l’herbe.

— Tu n’as rien de cassé ?

Mais elle ne s’était pas même évanouie. Elle se mit debout, se tâta, releva ses jupes jusqu’aux cuisses, tranquillement, pour voir ses genoux qui la brûlaient, si essoufflée encore, qu’elle ne pouvait parler.

— Vous voyez, c’est là, ça me pince… Tout de même, je remue, il n’y a rien… Oh ! j’ai eu peur ! Sur le chemin, j’étais en bouillie !

Et, examinant son poignet forcé, cerclé de rouge, elle le mouilla de salive, y colla ses lèvres, en ajoutant avec un grand soupir, soulagée, remise :

— Elle n’est pas méchante, la Coliche. Seulement, depuis ce matin, elle nous fait rager, parce qu’elle est en chaleur… Je la mène au taureau, à la Borderie.

— À la Borderie, répéta Jean. Ça se trouve bien, j’y retourne, je t’accompagne.