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LES ROUGON-MACQUART.

— Ça, c’est bien vrai, murmura-t-elle.

— Alors, en v’là assez, couchons-nous… S’il les demande, je lui répondrai, j’en fais mon affaire. Et que les autres ne m’embêtent pas !

Ils se couchèrent, après avoir à leur tour caché les papiers sous le marbre d’une vieille commode, ce qui leur semblait plus sûr qu’au fond d’un tiroir fermé à clef. Le père, laissé seul, sans chandelle, de crainte du feu, continua à causer et à sangloter toute la nuit, dans son délire.

Le lendemain, M. Finet le trouva plus calme, mieux qu’il ne l’espérait. Ah ! ces vieux chevaux de labour, ils ont l’âme chevillée au corps ! La fièvre qu’il avait crainte, semblait écartée. Il ordonna du fer, du quinquina, des drogues de riche, dont la cherté consterna de nouveau le ménage ; et, comme il partait, il eut à se débattre contre la Frimat, qui l’avait guetté.

— Mais, ma brave femme, je vous ai déjà dit que votre homme et cette borne, c’est la même chose… Je ne peux pas faire grouiller les pierres, que diable !… Vous savez comment ça finira, n’est-ce pas ? et le plus vite sera le meilleur, pour lui et pour vous.

Il fouetta son cheval, elle tomba assise sur la borne, en larmes. Sans doute, c’était long déjà, d’avoir soigné son homme depuis douze ans ; et ses forces s’en allaient avec l’âge, elle tremblait de ne pouvoir bientôt plus cultiver son coin de terre ; mais, n’importe ! ça lui retournait le cœur, l’idée de perdre le vieil infirme qui était devenu comme son enfant, qu’elle portait, changeait, gâtait de friandises. Le bon bras dont il se servait encore, s’engourdissait lui aussi, si bien que, maintenant, c’était elle qui devait lui planter la pipe dans la bouche.

Au bout de huit jours, M. Finet fut étonné de voir Fouan debout, mal solide, mais s’obstinant à marcher, parce que, disait-il, ce qui empêche de mourir, c’est de ne pas vouloir. Et Buteau, derrière le médecin, ricanait, car il avait supprimé les ordonnances, dès la seconde, déclarant que le plus sûr était de laisser le mal se manger