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LA TERRE.

d’un coup d’œil, saisis de constater que la grossesse avançait et que bientôt il ne serait plus temps.

— Nom de Dieu ! gueula Buteau, en revenant au labour qu’il examinait, le voleur a bien mordu sur nous d’un bon pied… Y a pas à dire, v’là la borne !

Françoise avait continué de s’approcher, du même pas tranquille, en cachant sa crainte. Elle comprit alors la cause de leurs gestes furieux, la charrue de Jean devait avoir entamé leur parcelle. Il y avait là de continuels sujets de dispute, pas un mois ne se passait sans qu’une question de mitoyenneté les jetât les uns sur les autres. Ça ne pouvait finir que par des coups et des procès.

— Tu entends, continua-t-il en élevant la voix, vous êtes chez nous, je vas vous faire marcher !

Mais la jeune femme, sans même tourner la tête, était entrée dans sa luzernière.

— On te parle, cria Lise hors d’elle. Viens voir la borne, si tu crois que nous mentons… Faut se rendre compte du dommage.

Et, devant le silence, le dédain affecté de sa sœur, elle perdit toute mesure, s’avança sur elle, les poings fermés.

— Dis donc, est-ce que tu te fous de nous ?… Je suis ton aînée, tu me dois le respect. Je saurai bien te faire demander à genoux pardon de toutes les cochonneries que tu m’as faites.

Elle était devant elle, enragée de rancune, aveuglée de sang.

— À genoux, à genoux, garce !

Toujours muette, Françoise, comme le soir de l’expulsion, lui cracha au visage. Et Lise hurlait, lorsque Buteau intervint, en l’écartant violemment.

— Laisse, c’est mon affaire.

Ah ! oui, elle le laissait ! Il pouvait bien la tordre et lui casser l’échine, ainsi qu’un mauvais arbre ; il pouvait bien en faire de la pâtée pour les chiens, s’en servir comme d’une traînée : ce n’était pas elle qui l’en empêcherait, elle l’aiderait plutôt ! Et, à partir de ce moment, toute droite, elle guetta, veillant à ce qu’on ne le dérangeât point. Autour