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LES ROUGON-MACQUART.

D’un bond, elle se leva, égarée, défaite, crachant toute sa peine en mots entrecoupés.

— Cochons ! salops !… Oui, tous les deux, des salops, des cochons !… Vous m’avez abîmée. Y en a qu’on guillotine, et qui en ont moins fait… Je le dirai à Jean, sales cochons ! C’est lui qui réglera votre compte.

Buteau haussait les épaules, goguenard, content d’y être arrivé enfin.

— Laisse donc ! tu en mourais d’envie, je t’ai bien sentie gigoter… Nous recommencerons ça.

Cette rigolade acheva d’exaspérer Lise, et toute la colère qui montait en elle contre son mari, creva sur sa cadette.

— C’est vrai, putain ! je t’ai vue. Tu l’as empoigné, tu l’as forcé… Quand je disais que tout mon malheur venait de toi ! Ose répéter à présent que tu ne m’as pas débauché mon homme, oui ! tout de suite au lendemain du mariage, lorsque je te mouchais encore !

Sa jalousie éclatait, singulière après ses complaisances, une jalousie qui portait moins sur l’acte que sur la moitié de ce que sa sœur lui avait pris dans l’existence. Si cette fille de son sang n’était pas née, est-ce qu’il lui aurait fallu partager tout ? Elle l’exécrait d’être plus jeune, plus fraîche, plus désirée.

— Tu mens ! criait Françoise. Tu sais bien que tu mens !

— Ah ! je mens ! Ce n’est peut-être pas toi qui voulais de lui, qui le poursuivais jusque dans la cave.

— Moi ! moi ! et, tout à l’heure, est-ce moi encore ?… Vache qui m’as tenue ! Oui, tu m’aurais cassé la jambe ! Et ça, vois-tu, je ne comprends pas, faut que tu sois dégoûtante, ou faut que tu aies voulu m’assassiner, gueuse !

Lise, à la volée, répondit par une gifle. Cette brutalité affola Françoise qui se rua sur elle. Les mains au fond des poches, Buteau ricanait, sans intervenir, en coq vaniteux pour lequel deux poules se battent. Et la bataille continua, enragée, scélérate, les bonnets arrachés, les chairs meurtries, chacune fouillant des doigts où elle pourrait atteindre la vie de l’autre. Toutes deux s’étaient bousculées, étaient revenues dans la luzerne. Mais Lise poussa