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LES ROUGON-MACQUART.

pin, malgré ses vingt et un ans, toujours souple et mince comme un scion de peuplier, avec sa gorge de petite fille. La rencontre l’amusant, elle les embrassa l’un après l’autre.

— On est toujours amis, pas vrai ?

Et elle aurait bien voulu, s’ils avaient voulu, seulement pour la joie de se retrouver, comme on trinque lorsqu’on se revoit.

— Écoute, dit Nénesse en manière de farce, je vas peut-être acheter la boutique aux Charles. Viens-tu y travailler ?

Du coup, elle cessa de rire, elle suffoqua, éclata en larmes. Les ténèbres de la route semblèrent la reprendre, elle disparut, en bégayant dans un désespoir d’enfant :

— Oh ! c’est cochon, c’est cochon ! Je ne t’aime plus !

Delphin était resté muet, et il se remit à marcher d’un air de décision.

— Viens donc, je vas te montrer quelque chose de drôle.

Alors, il pressa le pas, quitta le chemin pour gagner, à travers les vignes, la maison où la commune avait logé le garde champêtre, depuis que le presbytère était rendu au curé. C’était là qu’il habitait, avec son père. Il fit entrer son compagnon dans la cuisine, où il alluma une chandelle, content que ses parents ne fussent pas de retour encore.

— Nous allons boire un coup, déclara-t-il, en posant sur la table deux verres et un litre.

Puis, après avoir bu, il fit claquer sa langue, il ajouta :

— C’est donc pour te dire que, s’ils croient me tenir avec leur mauvais numéro, ils se trompent… Lorsque, à la mort de notre oncle Michel, j’ai dû aller vivre trois jours à Orléans, j’ai failli en claquer, tant ça me rendait malade de n’être plus chez nous. Hein ? tu trouves ça bête, mais que veux-tu ? c’est plus fort que moi, je suis comme un arbre qui crève quand on l’arrache… Et ils me prendraient, ils m’emmèneraient au diable, dans des endroits que je ne connais seulement pas ? Ah, non ! ah, non !