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LA TERRE.

bien sa terre, et il retourna chez lui, chantonnant, comme ivre de l’avoir respirée.

Cependant, Jean marchait, les yeux vagues, sans savoir où ses pieds le conduisaient. D’abord, il avait voulu courir à Cloyes, chez M. Baillehache, pour se faire réintégrer dans la maison. Ensuite, sa colère s’était calmée. S’il y rentrait aujourd’hui, demain il lui en faudrait sortir. Alors, pourquoi ne pas avaler ce gros chagrin tout de suite, puisque la chose était faite ? D’ailleurs, ces canailles avaient raison : pauvre il était venu, pauvre il s’en allait. Mais, surtout, ce qui lui cassait la poitrine, ce qui le décidait à se résigner, c’était de se dire que la volonté de Françoise en mourant avait dû être que les choses fussent ainsi, du moment où elle ne lui avait pas légué son bien. Il abandonnait donc le projet d’agir immédiatement ; et, lorsque, dans le bercement de la marche, sa colère se rallumait, il n’en était plus qu’à jurer de traîner les Buteau en justice, pour se faire rendre sa part, la moitié de tout ce qui tombait dans la communauté. On verrait s’il se laisserait dépouiller comme un capon !

Ayant levé les yeux, Jean fut étonné de se voir devant la Borderie. Un raisonnement intérieur, dont il n’avait eu que la demi-conscience, l’amenait à la ferme, comme à un refuge. Et, en effet, s’il ne voulait pas quitter le pays, n’était-ce pas là qu’on lui donnerait le moyen d’y rester, le logement et du travail ? Hourdequin l’avait toujours estimé, il ne doutait point d’être accueilli sur l’heure.

Mais, de loin, la vue de la Cognette, affolée, traversant la cour, l’inquiéta. Onze heures sonnaient, il tombait dans une catastrophe terrible. Le matin, descendue avant la servante, la jeune femme avait trouvé, au pied de l’escalier, la trappe de la cave ouverte, cette trappe placée si dangereusement ; et Hourdequin était au fond, mort, les reins cassés à l’angle d’une marche. Elle avait crié, on était accouru, une terreur bouleversait la ferme. Maintenant, le corps du fermier gisait sur un matelas, dans la salle à manger, tandis que, dans la cuisine, Jacqueline se désespérait, la face décomposée, sans une larme.