Page:Emile Zola - La Terre.djvu/493

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
493
LA TERRE.

cassait les jambes, il songea qu’il n’avait pas mangé encore, il retourna vers le village, décidé à s’installer chez Lengaigne, qui louait des chambres. Mais, comme il traversait la place de l’Église, la vue de la maison dont on l’avait chassé le matin, lui ralluma le sang. Pourquoi donc laisserait-il à ces canailles ses deux pantalons et sa redingote ? C’était à lui, il les voulait, quitte à recommencer la bataille.

La nuit tombait, Jean eut peine à distinguer le père Fouan, assis sur le banc de pierre. Il arrivait devant la porte de la cuisine, où brûlait une chandelle, lorsque Buteau le reconnut et s’élança pour lui barrer le passage.

— Nom de Dieu ! c’est encore toi… Qu’est-ce que tu veux ?

— Je veux mes deux pantalons et ma redingote.

Une querelle atroce éclata. Jean s’obstinait, demandait à fouiller dans l’armoire ; tandis que Buteau, qui avait pris une serpe, jurait de lui ouvrir la gorge, s’il passait le seuil. Enfin, on entendit la voix de Lise, à l’intérieur, crier :

— Ah ! va, faut les lui rendre, ses guenilles !… Tu ne mettrais pas ça, il est pourri !

Les deux hommes se turent. Jean attendit. Mais, derrière son dos, sur le banc de pierre, le père Fouan, rêva, la tête perdue, bégayant de sa voix empâtée :

— Fous donc le camp ! ils te saigneront, comme ils ont saigné la petite !

Ce fut un éblouissement. Jean comprit tout, et la mort de Françoise, et son obstination muette. Il avait déjà un soupçon, il ne douta plus qu’elle n’eût sauvé sa famille de la guillotine. La peur le prenait aux cheveux, et il ne trouvait pas un cri, pas un geste, quand il reçut, au travers de la figure, les pantalons et la redingote que Lise lui jetait par la porte ouverte, à la volée.

— Tiens ! les v’là, tes saletés !… Ça pue si fort, que ça nous aurait fichu la peste !

Alors, il les ramassa, il s’en alla. Et, sur la route seulement, lorsqu’il fut sorti de la cour, il brandit le poing