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LA TERRE.

moins ça gagne, et plus ça se cramponne !… Il ne claquera jamais, celui-là.

Lise, sur le dos, dit à son tour :

— C’est mauvais qu’il soit rentré ici… Il y sera trop bien, il va passer un nouveau bail… Moi, si j’avais eu à prier le bon Dieu, je lui aurais demandé de ne pas le laisser coucher une seule nuit dans la maison.

Ni l’un ni l’autre n’abordaient leur vrai souci, l’idée que le père savait tout et qu’il pouvait les vendre, même innocemment. Ça, c’était le comble. Qu’il fût une dépense, qu’il les encombrât, qu’il les empêchât de jouir à l’aise des titres de rente volés, ils l’avaient supporté longtemps. Mais qu’une parole de lui leur fit couper le cou, ah ! non, ça passait la permission. Fallait y mettre ordre.

— Je vas voir s’il dort, dit Lise brusquement.

Elle ralluma la chandelle, s’assura du gros sommeil de Laure et de Jules, puis fila en chemise dans la pièce aux betteraves, où l’on avait rétabli le lit de fer du vieux. Quand elle revint, elle était frissonnante, les pieds glacés par le carreau, et elle se refourra sous la couverture, se serra contre son homme, qui la prit entre ses bras, pour la réchauffer.

— Eh bien ?

— Eh bien ! il dort, il a la bouche ouverte comme une carpe, à cause qu’il étouffe.

Un silence régna, mais ils avaient beau se taire, dans leur étreinte, ils entendaient leurs pensées battre sous leur peau. Ce vieux qui suffoquait toujours, c’était si facile de le finir : un rien dans la gorge, un mouchoir, les doigts seulement, et l’on en serait délivré. Même, ce serait un vrai service à lui rendre. Est-ce qu’il ne valait pas mieux dormir tranquille au cimetière, que d’être à charge aux autres et à soi ?

Buteau continuait de serrer Lise entre ses bras. Maintenant, tous deux brûlaient, comme si un désir leur eût allumé le sang des veines. Il la lâcha tout d’un coup, sauta à son tour pieds nus sur le carreau.

— Je vas voir aussi.