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LA TERRE.

comme d’une chose inhumaine, que rien n’excusait. M. Charles était également de cette opinion, mais avec mesure.

On finissait par ne plus s’entendre, lorsque Buteau domina les voix, gueulant :

— Oui, leurs os se retourneront dans la terre et se mangeront !

Du coup, les parents, les amis, les connaissances, tous en furent. C’était bien ça, il l’avait dit : les os se retournaient dans la terre. Entre eux, les Fouan achèveraient de s’y dévorer ; Lengaigne et Macqueron s’y disputeraient à la pourriture ; les femmes, Cœlina, Flore, la Bécu, s’y empoisonneraient de leurs langues et de leurs griffes. On ne couchait pas ensemble, même enterré, lorsqu’on s’exécrait. Et, dans ce cimetière ensoleillé, c’était, de cercueil à cercueil, sous la paix des herbes folles, une bataille farouche des vieux morts, sans trêve, la même bataille qui, parmi les tombes, heurtait ces vivants.

Mais un cri de Jean les sépara, leur fit tourner à tous la tête.

— Le feu est à la Borderie !

Maintenant, le doute n’était plus possible, des flammes s’échappaient des toits, vacillantes et pâlies dans le grand jour. Un gros nuage de fumée s’en allait doucement vers le nord. Et l’on aperçut justement la Trouille qui accourait de la ferme, au galop. En cherchant ses oies, elle avait remarqué les premières étincelles, elle s’était régalée du spectacle, jusqu’au moment où l’idée de raconter l’histoire avant les autres, venait de lui faire prendre sa course. Elle sauta à califourchon sur le petit mur, elle cria de sa voix aiguë de gamin :

— Oh ! ce que ça brûle !… C’est ce grand salop de Tron qui est revenu foutre le feu ; et à trois endroits, dans la grange, dans l’écurie, dans la cuisine. On l’a pincé comme il allumait la paille, les charretiers l’ont à moitié démoli… Avec ça, les chevaux, les vaches, les moutons cuisent. Non, faut les entendre gueuler ! Jamais on n’a gueulé si fort !