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LES ROUGON-MACQUART.

sur une chaise, au milieu du chœur, il ânonna, se perdit, renonça à se retrouver : l’éloquence était son côté faible, les mots ne venaient pas, il poussait des heu ! heu ! sans jamais pouvoir finir ses phrases ; ce qui expliquait pourquoi monseigneur l’oubliait depuis vingt-cinq ans, dans la petite cure de Bazoches-le-Doyen. Et le reste fut bâclé, les sonneries de l’élévation tintèrent comme des signaux électriques pris de folie, il renvoya son monde d’un « Ite, missa est » en coup de fouet.

L’église s’était à peine vidée, que l’abbé Godard reparaissait, le tricorne posé de travers, dans sa hâte. Devant la porte, un groupe de femmes stationnait, Cœlina, Flore, la Bécu, très blessées d’avoir été ainsi menées au galop. Il les méprisait donc, qu’il ne leur en donnait pas davantage, un jour de grande fête ?

— Dites, monsieur le curé, demanda Cœlina de sa voix aigre, en l’arrêtant, vous nous en voulez, que vous nous expédiez comme un vrai paquet de guenilles ?

— Ah ! dame ! répondit-il, les miens m’attendent… Je ne puis pas être à Bazoches et à Rognes… Ayez un curé à vous, si vous désirez des grand’messes.

C’était l’éternelle querelle entre Rognes et l’abbé, les habitants exigeant des égards, lui s’en tenant à son devoir strict, pour une commune qui refusait de réparer l’église, et où, d’ailleurs, de perpétuels scandales le décourageaient. Il continua, en désignant les filles de la Vierge, qui partaient ensemble :

— Et puis, est-ce que c’est propre, des cérémonies avec des jeunesses sans aucun respect pour les commandements de Dieu ?

— Vous ne dites pas ça pour ma fille, j’espère ? demanda Cœlina, les dents serrées.

— Ni pour la mienne, bien sûr ? ajouta Flore.

Alors, il s’emporta, excédé.

— Je le dis pour qui je dois le dire… Ça crève les yeux. Voyez-vous ça avec des robes blanches ! Je n’ai pas une procession ici, sans qu’il y en ait une d’enceinte… Non, non, vous lasseriez le bon Dieu lui-même !