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LES ROUGON-MACQUART.

l’eau tiède, pendant que l’autre tirait de sa poche un rasoir grand comme un coutelas, qu’il se mit à repasser sur un cuir fixé à l’étui. Mais une voix glapissante vint de l’épicerie voisine.

— Dites-donc, criait Cœlina, est-ce que vous allez faire vos saletés sur les tables ?… Ah ! non, je ne veux pas, chez moi, qu’on trouve du poil dans les verres !

C’était une attaque à la propreté du cabaret voisin, où l’on mangeait plus de cheveux qu’on ne buvait de vrai vin, disait-elle.

— Vends ton sel et ton poivre, et fiche-nous la paix ! répondit Macqueron, vexé de cette algarade devant le monde.

Jésus-Christ et Bécu ricanèrent. Mouchée, la bourgeoise ! Et ils lui commandèrent un nouveau litre, qu’elle apporta, furieuse, sans une parole. Ils battaient les cartes, ils les jetaient sur la table violemment, comme pour s’assommer. Atout, atout et atout !

Lengaigne avait déjà frotté son client de savon, et le tenait par le nez, lorsque Lequeu, le maître d’école, poussa la porte.

— Bonsoir, la compagnie !

Il resta debout et muet devant le poêle, à se chauffer les reins, pendant que le jeune Victor, derrière les joueurs, s’absorbait dans la vue de leur jeu.

— À propos, reprit Macqueron, en profitant d’une minute où Lengaigne lui essuyait sur l’épaule les baves de son rasoir, M. Hourdequin, tout à l’heure, avant la messe, m’a encore parlé du chemin… Faudrait se décider pourtant.

Il s’agissait du fameux chemin direct de Rognes à Châteaudun, qui devait raccourcir la distance d’environ deux lieues, car les voitures étaient forcées de passer par Cloyes. Naturellement, la ferme avait grand intérêt à cette voie nouvelle, et le maire, pour entraîner le conseil municipal, comptait beaucoup sur son adjoint, intéressé lui aussi à une prompte solution. Il était, en effet, question de relier le chemin à la route du bas, ce qui faciliterait