Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/121

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Là, un grand lis immaculé poussait dans ce terreau, Sidonie Rougon, la complaisante de son frère Saccard, l’entremetteuse aux cent métiers louches, enfantait d’un inconnu la pure et divine Angélique, la petite brodeuse aux doigts de fée qui tissait à l’or des chasubles le rêve de son prince charmant, si envolée parmi ses compagnes les saintes, si peu faite pour la dure réalité, qu’elle obtenait la grâce de mourir d’amour, le jour de son mariage, sous le premier baiser de Félicien de Hautecœur, dans le branle des cloches sonnant la gloire de ses noces royales. Le nœud des deux branches se faisait alors, la légitime et la bâtarde, Marthe Rougon épousait son cousin François Mouret, un paisible ménage lentement désuni, aboutissant aux pires catastrophes, une douce et triste femme prise, utilisée, broyée, dans la vaste machine de guerre dressée pour la conquête d’une ville, et ses trois enfants lui étaient comme arrachés, et elle laissait jusqu’à son cœur sous la rude poigne de l’abbé Faujas, et les Rougon sauvaient une seconde fois Plassans, pendant qu’elle agonisait, à la lueur de l’incendie où son mari, fou de rage amassée et de vengeance, flambait avec le prêtre. Des trois enfants, Octave Mouret était le conquérant audacieux, l’esprit net, résolu à demander aux femmes la royauté de Paris, tombé en pleine bourgeoisie gâtée, faisant là une terrible éducation sentimentale, passant du refus fantasque de l’une au mol abandon de l’autre, goûtant jusqu’à la boue les désagréments de l’adultère, resté heureusement actif, travailleur et batailleur, peu à peu dégagé, grandi quand même, hors de la basse cuisine de ce monde pourri, dont on entendait le craquement. Et Octave Mouret victorieux révolutionnait le haut commerce, tuait les petites boutiques prudentes de l’ancien négoce, plantait au milieu de Paris enfiévré le colossal palais de la tentation, éclatant de lustres, débordant de