Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/144

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de piquer dans une veine. Il s’était inquiété tout de suite, en voyant le cabaretier pâlir, suffoquer, suer à grosses gouttes froides. Puis, il avait compris, lorsque la mort s’était produite en coup de foudre, les lèvres bleues, le visage noir. C’était une embolie, il ne pouvait accuser que l’insuffisance de ses préparations, toute sa méthode encore barbare. Sans doute Lafouasse était perdu, il n’aurait peut-être pas vécu six mois, au milieu d’atroces souffrances ; mais la brutalité du fait n’en était pas moins là, cette mort affreuse ; et quel regret désespéré, quel ébranlement dans sa foi, quelle colère contre la science impuissante et assassine ! Il était rentré livide, il n’avait reparu que le lendemain, après être resté seize heures enfermé dans sa chambre, jeté tout vêtu en travers de son lit, sans un souffle.

Ce jour-là, l’après-midi, Clotilde, qui cousait près de lui, dans la salle, se hasarda à rompre le lourd silence. Elle avait levé les yeux, elle le regardait s’énerver à feuilleter un livre, cherchant un renseignement qu’il ne trouvait point.

— Maître, es-tu malade ?… Pourquoi ne le dis-tu pas ? Je te soignerais.

Il demeura la face contre le livre, murmurant d’une voix sourde :

— Malade, qu’est-ce que ça te fait ? Je n’ai besoin de personne.

Conciliante, elle reprit :

— Si tu as des chagrins, et que tu puisses me les dire, cela te soulagerait peut-être… Hier, tu es rentré si triste ! Il ne faut pas te laisser abattre ainsi. J’ai passé une nuit bien inquiète, je suis venue trois fois écouter à ta porte, tourmentée par l’idée que tu souffrais.

Si doucement qu’elle eût parlé, ce fut comme un coup de fouet qui le cingla. Dans son affaiblissement maladif,