Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/170

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Pendant ces nuits ardentes, les yeux grands ouverts dans l’obscurité, il recommençait toujours le même rêve. Une fille des routes passait, une fille de vingt ans, admirablement belle ; et elle entrait s’agenouiller devant lui, d’un air d’adoration soumise, et il l’épousait. C’était une de ces pèlerines d’amour, comme on en trouve dans les anciennes histoires, qui avait suivi une étoile pour venir rendre la santé et la force à un vieux roi très puissant, couvert de gloire. Lui était le vieux roi, et elle l’adorait, elle faisait ce miracle, avec ses vingt ans, de lui donner de sa jeunesse. Il sortait triomphant de ses bras, il avait retrouvé la foi, le courage en la vie. Dans une Bible du quinzième siècle qu’il possédait, ornée de naïves gravures sur bois, une image surtout l’intéressait, le vieux roi David rentrant dans sa chambre, la main posée sur l’épaule nue d’Abisaïg, la jeune Sunamite. Et il lisait le texte, sur la page voisine : « Le roi David, étant vieux, ne pouvait se réchauffer, quoiqu’on le couvrît beaucoup. Ses serviteurs lui dirent donc : « Nous chercherons une jeune fille vierge pour le roi notre seigneur, afin qu’elle se tienne en présence du roi, qu’elle puisse l’amuser, et que, dormant près de lui, elle réchauffe le roi notre seigneur. » Ils cherchèrent donc dans toutes les terres d’Israël une fille qui fût jeune et belle ; ils trouvèrent Abisaïg, Sunamite, et l’amenèrent au roi ; c’était une jeune fille d’une grande beauté ; elle dormait auprès du roi, et elle le servait… » Ce frisson du vieux roi, n’était-ce pas celui qui le glaçait maintenant, dès qu’il se couchait seul, sous le plafond morne de sa chambre ? Et la fille des routes, la pèlerine d’amour que son rêve lui amenait, n’était-elle pas l’Abisaïg dévotieuse et docile, la sujette passionnée se donnant toute à son maître, pour son unique bien ? Il la voyait toujours là, en esclave heureuse de s’anéantir en lui, attentive à son moindre désir, d’une