Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aux cheveux blonds de l’enfant. Il la sentait toute, il la respirait toute. Il avait posé ses lèvres sur sa nuque délicate, il baisait sa jeunesse en fleur, tandis que les naïves gravures sur bois continuaient à défiler, ce monde biblique qui s’évoquait des pages jaunies, cette poussée libre d’une race forte et vivace, dont l’œuvre devait conquérir le monde, ces hommes à la virilité jamais éteinte, ces femmes toujours fécondes, cette continuité entêtée et pullulante de la race, au travers des crimes, des incestes, des amours hors d’âge et hors de raison. Et il était envahi d’une émotion, d’une gratitude sans bornes, car son rêve à lui se réalisait, sa pèlerine d’amour, son Abisaïg venait d’entrer dans sa vie finissante, qu’elle reverdissait et qu’elle embaumait.

Puis, très bas, à l’oreille, il lui demanda, sans cesser de l’avoir toute à lui, dans une haleine :

— Oh ! ta jeunesse, ta jeunesse, dont j’ai faim et qui me nourris !… Mais, toi si jeune, n’en as-tu donc pas faim, de jeunesse, pour m’avoir pris, moi, si vieux, vieux comme le monde ?

Elle eut un sursaut d’étonnement, et elle tourna la tête, le regarda.

— Toi, vieux ?… Eh ! non, tu es jeune, plus jeune que moi !

Et elle riait, avec des dents si claires, qu’il ne put s’empêcher de rire, lui aussi. Mais il insistait, un peu tremblant :

— Tu ne me réponds pas… Cette faim de jeunesse, ne l’as-tu donc pas, toi si jeune ?

Ce fut elle qui allongea les lèvres, qui le baisa, en disant à son tour, très bas :

— Je n’ai qu’une faim et qu’une soif, être aimée, être aimée en dehors de tout, par-dessus tout, comme tu m’aimes.