Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’en échappait, légère, dansante, telle qu’une flamme errante, à la surface d’un vase d’alcool enflammé. Elle n’était encore guère plus haute qu’une flamme de veilleuse, d’une douceur muette, si instable, que le moindre frisson de l’air la déplaçait. Mais elle grandissait, s’élargissait rapidement, et la peau se fendait, et la graisse commençait à se fondre.

Un cri involontaire jaillit de la gorge de Félicité.

— Macquart !… Macquart !

Il ne bougeait toujours pas. Son insensibilité devait être complète, l’ivresse l’avait jeté dans une sorte de coma, dans une paralysie absolue de la sensation ; car il vivait, on voyait un souffle lent et égal soulever sa poitrine.

— Macquart !… Macquart !

Maintenant, la graisse suintait par les gerçures de la peau, activant la flamme qui gagnait le ventre. Et Félicité comprit que l’oncle s’allumait là, comme une éponge, imbibée d’eau-de-vie. Lui-même en était saturé depuis des ans, de la plus forte, de la plus inflammable. Il flamberait sans doute tout à l’heure, des pieds à la tête.

Alors, elle cessa de vouloir le réveiller, puisqu’il dormait si bien. Pendant une grande minute, elle osa encore le contempler, effarée, peu à peu résolue. Ses mains, pourtant, s’étaient mises à trembler, d’un petit grelottement qu’elle ne pouvait contenir. Elle étouffait, elle reprit à deux mains le verre d’eau, que, d’un trait, elle vida. Et elle partait sur la pointe des pieds, lorsqu’elle se rappela ses gants. Elle revint, crut les ramasser, tous les deux sur la table, d’un geste inquiet, à tâtons. Enfin, elle sortit, elle referma la porte soigneusement, avec douceur, comme si elle avait craint de déranger quelqu’un.

Quand elle se retrouva sur la terrasse, au gai soleil, dans l’air pur, en face de l’immense horizon baigné de ciel, elle eut un soupir de soulagement. La campagne