Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/257

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ce dont ils avaient besoin, maternelle d’ailleurs, les entourant de soins infinis, faisant ce miracle de leur donner encore de l’aisance pour leur pauvre argent, ne les bousculant parfois que dans leur intérêt, comme on bouscule les gamins qui ne veulent pas manger leur soupe. Et il semblait que cette singulière maternité, cette immolation dernière, cette paix de l’illusion dont elle entourait leurs amours, la contentait un peu elle aussi, la tirait du sourd désespoir où elle était tombée. Depuis qu’elle veillait ainsi sur eux, elle avait retrouvé sa petite figure blanche de nonne vouée au célibat, ses calmes yeux couleur de cendre. Lorsque, après les éternelles pommes de terre, la petite côtelette de quatre sous, perdue au milieu des légumes, elle arrivait, certains jours, sans compromettre son budget, à leur servir des crêpes, elle triomphait, elle riait de leurs rires.

Pascal et Clotilde trouvaient tout très bien, ce qui ne les empêchait pas de la plaisanter, quand elle n’était pas là. Les anciennes moqueries sur son avarice recommençaient, ils prétendaient qu’elle comptait les grains de poivre, tant de grains par chaque plat, histoire de les économiser. Quand les pommes de terre manquaient par trop d’huile, quand les côtelettes se réduisaient à une bouchée, ils échangeaient un vif coup d’œil, ils attendaient qu’elle fût sortie, pour étouffer leur gaieté dans leur serviette. Ils s’amusaient de tout, ils riaient de leur misère.

À la fin du premier mois, Pascal songea aux gages de Martine. D’habitude, elle prélevait elle-même ses quarante francs sur la bourse commune qu’elle tenait.

— Ma pauvre fille, lui dit-il un soir, comment allez-vous faire pour vos gages, puisqu’il n’y a plus d’argent ?

Elle resta un instant, les yeux à terre, l’air consterné.

— Dame ! monsieur, il faudra bien que j’attende.