Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/259

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vivaient les journées, comme drapés luxueusement dans la joie d’y avoir déjà vécu si longtemps ensemble. Puis, dehors, au fond des moindres coins de la Souleiade, c’était le royal été qui dressait sa tente bleue, éblouissante d’or. Le matin, le long des allées embaumées de la pinède, à midi, sous l’ombre noire des platanes, rafraîchie par la chanson de la source, le soir, sur la terrasse qui se refroidissait ou sur l’aire encore tiède, baignée du petit jour bleu des premières étoiles, ils promenaient avec ravissement leur existence de pauvres, dont la seule ambition était de vivre toujours ensemble, dans l’absolu dédain de tout le reste. La terre était à eux, et les trésors, et les fêtes, et les souverainetés, du moment qu’ils se possédaient.

Vers la fin d’août, cependant, les choses se gâtèrent encore. Ils avaient parfois des réveils inquiets, au milieu de cette vie sans liens ni devoirs, sans travail, qu’ils sentaient si douce, mais impossible, mauvaise à toujours vivre. Un soir, Martine leur déclara qu’elle n’avait plus que cinquante francs, et qu’on aurait du mal à vivre deux semaines, en cessant de boire du vin. D’autre part, les nouvelles devenaient graves, le notaire Grandguillot était décidément insolvable, les créanciers personnels eux-mêmes ne toucheraient pas un sou. D’abord, on avait pu compter sur la maison et deux fermes que le notaire en fuite laissait forcément derrière lui ; mais il était certain, maintenant, que ces propriétés se trouvaient mises au nom de sa femme ; et, pendant que lui, en Suisse, disait-on jouissait de la beauté des montagnes, celle-ci occupait une des fermes, qu’elle faisait valoir, très calme, loin des ennuis de leur déconfiture. Plassans bouleversé racontait que la femme tolérait les débordements du mari, jusqu’à lui permettre les deux maîtresses qu’il avait emmenées au bord des grands lacs. Et Pascal, avec son