Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/311

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Saisie, elle restait immobile. Jamais, depuis trente-deux ans qu’elle le servait, il ne l’avait ainsi menacée de renvoi.

— Oh ! monsieur, vous auriez ce courage ! Mais je ne m’en irais pas, je me coucherais en travers de la porte.

Déjà, il était honteux de son emportement, et il se fit plus doux.

— C’est que je sais parfaitement ce qui se passe. Elle vient pour vous endoctriner, pour vous mettre contre moi, n’est-ce pas ?… Oui, elle guette mes papiers, elle voudrait tout voler, tout détruire, là-haut, dans l’armoire. Je la connais, quand elle veut quelque chose, elle le veut jusqu’au bout… Eh bien ! vous pouvez lui dire que je veille, que je ne la laisserai même pas approcher de l’armoire, tant que je serai vivant. Et puis, la clef est là, dans ma poche.

En effet, toute sa terreur de savant traqué et menacé était revenue. Depuis qu’il vivait seul, il avait la sensation d’un danger renaissant, d’un guet-apens continu, dressé dans l’ombre. Le cercle se resserrait, et s’il se montrait si rude contre les tentatives d’envahissement, s’il repoussait les assauts de sa mère, c’était qu’il ne se trompait pas sur ses projets véritables et qu’il avait peur d’être faible. Quand elle serait là, elle le posséderait peu à peu, au point de le supprimer. Aussi ses tortures recommençaient-elles, il passait les journées en surveillance, il fermait lui-même les portes, le soir, et souvent il se relevait, la nuit, pour s’assurer qu’on ne forçait pas les serrures. Son inquiétude était que la servante, gagnée, croyant assurer son salut éternel, n’ouvrît à sa mère. Il croyait voir les dossiers flamber dans la cheminée, il montait la garde autour d’eux, repris d’une passion souffrante, d’une tendresse déchirée, pour cet amas glacé de papiers, ces froides pages de manuscrits,