Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/34

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le café. Et elle affecta dès lors de ne plus lever la tête, comme absorbée dans son travail. Pourtant, de temps à autre, elle semblait jeter un coup d’œil, entre les troncs des arbres, vers les lointains ardents, l’aire aveuglante ainsi qu’un brasier, où le soleil brûlait. Mais, en réalité, son regard se coulait derrière ses longs cils, remontait jusqu’aux fenêtres du docteur. Rien n’y apparaissait, pas une ombre. Et une tristesse, une rancune grandissaient en elle, cet abandon où il la laissait, ce dédain où il semblait la tenir, après leur querelle de la veille. Elle qui s’était levée avec un si gros désir de faire tout de suite la paix ! Lui, n’avait donc pas de hâte, ne l’aimait donc pas, puisqu’il pouvait vivre fâché ? Et peu à peu elle s’assombrissait, elle retournait à des pensées de lutte, résolue de nouveau à ne céder sur rien.

Vers onze heures, avant de mettre son déjeuner au feu, Martine vint la rejoindre, avec l’éternel bas qu’elle tricotait même en marchant, quand la maison ne l’occupait pas.

— Vous savez qu’il est toujours enfermé là-haut, comme un loup, à fabriquer sa drôle de cuisine ?

Clotilde haussa les épaules, sans quitter des yeux sa broderie.

— Et, mademoiselle, si je vous répétais ce qu’on raconte ! Madame Félicité avait raison, hier, de dire qu’il y a vraiment de quoi rougir… On m’a jeté à la figure, à moi qui vous parle, qu’il avait tué le vieux Boutin, vous vous souvenez, ce pauvre vieux qui tombait du haut mal et qui est mort sur une route.

Il y eut un silence. Puis, voyant la jeune fille s’assombrir encore, la servante reprit, tout en activant le mouvement rapide de ses doigts :

— Moi, je n’y entends rien, mais ça me met en rage, ce qu’il fabrique… Et vous, mademoiselle, est-ce que vous approuvez cette cuisine-là ?