Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/46

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elle avait gagné douze mille francs, sur lesquels elle n’avait prélevé que le strict nécessaire de son entretien ; et, engraissée, presque triplée par les intérêts, la somme de ses économies était aujourd’hui d’une trentaine de mille francs, qu’elle n’avait pas voulu placer chez M. Grandguillot, par un caprice, une volonté de mettre son argent à l’écart. Il était ailleurs, en rentes solides.

— Les sous qui dorment sont des sous honnêtes, dit-elle gravement. Mais monsieur a raison, je dirai au boucher d’envoyer une note à part, puisque toutes ces cervelles sont pour la cuisine à monsieur, et non pour la mienne.

Cette explication avait fait sourire Clotilde, que les plaisanteries sur l’avarice de Martine amusaient d’ordinaire ; et le déjeuner s’acheva plus gaiement. Le docteur voulut aller prendre le café sous les platanes, en disant qu’il avait besoin d’air, après s’être enfermé toute la matinée. Le café fut donc servi sur la table de pierre, près de la fontaine. Et qu’il faisait bon là, dans l’ombre, dans la fraîcheur chantante de l’eau, tandis que, à l’entour, la pinède, l’aire, la propriété entière brûlait, au soleil de deux heures !

Pascal avait complaisamment apporté la fiole de substance nerveuse, qu’il regardait, posée sur la table.

— Ainsi, mademoiselle, reprit-il d’un air de plaisanterie bourrue, vous ne croyez pas à mon élixir de résurrection, et vous croyez aux miracles !

— Maître, répondit Clotilde, je crois que nous ne savons pas tout.

Il eut un geste d’impatience.

— Mais il faudra tout savoir… Comprends donc, petite têtue, que jamais on n’a constaté scientifiquement une seule dérogation aux lois invariables qui régissent l’univers. Seule, jusqu’à ce jour, l’intelligence humaine est interve-