Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/5

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ami, comme le docteur Ramond, lui demandait la communication d’un document. Mais elle n’était point une savante, il lui défendait simplement de lire ce qu’il jugeait inutile qu’elle connût.

Cependant, l’attention profonde où il la sentait absorbée, finissait par le surprendre.

— Qu’as-tu donc à ne plus desserrer les lèvres ? La copie de ces fleurs te passionne à ce point !

C’était encore là un des travaux qu’il lui confiait souvent, des dessins, des aquarelles, des pastels, qu’il joignait ensuite comme planches à ses ouvrages. Ainsi, depuis cinq ans, il faisait des expériences très curieuses sur une collection de roses trémières, toute une série de nouvelles colorations, obtenues par des fécondations artificielles. Elle apportait, dans ces sortes de copies, une minutie, une exactitude de dessin et de couleur extraordinaire ; à ce point qu’il s’émerveillait toujours d’une telle honnêteté, en lui disant qu’elle avait « une bonne petite caboche ronde, nette et solide ».

Mais, cette fois, comme il s’approchait pour regarder par-dessus son épaule, il eut un cri de comique fureur.

— Ah ! va te faire fiche ! te voilà partie pour l’inconnu !… Veux-tu bien me déchirer ça tout de suite !

Elle s’était redressée, le sang aux joues, les yeux flambants de la passion de son œuvre, ses doigts minces tachés de pastel, du rouge et du bleu qu’elle avait écrasés.

— Oh ! maître !

Et dans ce « maître », si tendre, d’une soumission si caressante, ce terme de complet abandon dont elle l’appelait pour ne pas employer les mots d’oncle ou de parrain, qu’elle trouvait bêtes, passait pour la première fois une flamme de révolte, la revendication d’un être qui se reprend et qui s’affirme.

Depuis près de deux heures, elle avait repoussé la copie