Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/66

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Mais Félicité s’agitait, visiblement inquiète de cette visite à Macquart.

— Ah bien, non ! si vous croyez que je vais aller là-bas, par ce temps d’orage… Il est bien plus simple d’envoyer quelqu’un qui nous ramènera Charles.

Pascal hocha la tête. On ne ramenait pas toujours Charles comme on voulait. C’était un enfant sans raison, qui, parfois, galopait au moindre caprice, ainsi qu’un animal indompté. Et la vieille madame Rougon, combattue, furieuse de n’avoir rien pu préparer, dut finir par céder, dans la nécessité où elle était de s’en remettre au hasard.

— Après tout, comme vous voudrez ! Mon Dieu, que les choses s’arrangent mal !

Martine courut chercher le landau, et trois heures n’étaient pas sonnées, lorsque les deux chevaux enfilèrent la route de Nice, dévalant la pente qui descendait jusqu’au pont de la Viorne. On tournait ensuite à gauche, pour longer pendant près de deux kilomètres les bords boisés de la rivière. Puis, la route s’engageait dans les gorges de la Seille, un défilé étroit entre deux murs géants de roches cuites et dorées par les violents soleils. Des pins avaient poussé dans les fentes ; des panaches d’arbres, à peine gros d’en bas comme des touffes d’herbe, frangeaient les crêtes, pendaient sur le gouffre. Et c’était un chaos, un paysage foudroyé, un couloir de l’enfer, avec ses détours tumultueux, ses coulures de terre sanglante glissées de chaque entaille, sa solitude désolée que troublait seul le vol des aigles.

Félicité ne desserra pas les lèvres, la tête en travail, l’air accablé sous ses réflexions. Il faisait en effet très lourd, le soleil brûlait, derrière un voile de grands nuages livides. Presque seul, Pascal causa, dans sa tendresse passionnée pour cette nature ardente, tendresse qu’il