Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/90

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sur son pupitre. Elle ne classait plus rien, ne se serait pas baissée pour ramasser un manuscrit par terre. Surtout, elle avait abandonné les pastels, les dessins de fleurs très exacts qui devaient servir de planches à un ouvrage sur les fécondations artificielles. De grandes mauves rouges, d’une coloration nouvelle et singulière, s’étaient fanées dans leur vase, sans qu’elle eût fini de les copier. Et, pendant une après-midi entière, elle se passionna encore sur un dessin fou, des fleurs de rêve, une extraordinaire floraison épanouie au soleil du miracle, tout un jaillissement de rayons d’or en forme d’épis, au milieu de larges corolles de pourpre, pareilles à des cœurs ouverts, d’où montaient, en guise de pistils, des fusées d’astres, des milliards de mondes coulant au ciel ainsi qu’une voie lactée.

— Ah ! ma pauvre fille, lui dit ce jour-là le docteur, peut-on perdre son temps à de telles imaginations ! Moi qui attends la copie de ces mauves que tu as laissées mourir !… Et tu te rendras malade. Il n’y a ni santé, ni même beauté possible, en dehors de la réalité.

Souvent, elle ne répondait plus, enfermée dans une conviction farouche, ne voulant point discuter. Mais il venait de la toucher au vif de ses croyances.

— Il n’y a pas de réalité, déclara-t-elle nettement.

Lui, amusé par cette carrure philosophique chez cette grande enfant, se mit à rire.

— Oui, je sais… Nos sens sont faillibles, nous ne connaissons le monde que par nos sens, donc il se peut que le monde n’existe pas… Alors, ouvrons la porte à la folie, acceptons comme possibles les chimères les plus saugrenues, partons pour le cauchemar, en dehors des lois et des faits… Mais ne vois-tu donc pas qu’il n’est plus de règle, si tu supprimes la nature, et que le seul intérêt à vivre est de croire à la vie, de l’aimer et de