Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/98

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tranquillité dans l’aveuglement volontaire. Il faut marcher, marcher quand même, avec la vie qui marche toujours. Tout ce qu’on propose, les retours en arrière, les religions mortes, les religions replâtrées, aménagées selon les besoins nouveaux, sont un leurre… Connais donc la vie, aime-la, vis-la telle qu’elle doit être vécue : il n’y a pas d’autre sagesse.

D’une secousse irritée, elle avait dégagé sa main. Et sa voix exprima un dégoût frémissant.

— La vie est abominable, comment veux-tu que je la vive paisible et heureuse ?… C’est une clarté terrible que ta science jette sur le monde, ton analyse descend dans toutes nos plaies humaines, pour en étaler l’horreur. Tu dis tout, tu parles crûment, tu ne nous laisses que la nausée des êtres et des choses, sans aucune consolation possible.

Il l’interrompit d’un cri de conviction ardente.

— Tout dire, ah ! oui, pour tout connaître et tout guérir !

La colère la soulevait, elle se mit sur son séant.

— Si encore l’égalité et la justice existaient dans ta nature. Mais tu le reconnais toi-même, la vie est au plus fort, le faible périt fatalement, parce qu’il est faible. Il n’y a pas deux être égaux, ni en santé, ni en beauté, ni en intelligence : c’est au petit bonheur de la rencontre, au hasard du choix… Et tout croule, dès que la grande et sainte justice n’est plus !

— C’est vrai, dit-il à demi-voix, comme à lui-même, l’égalité n’existe pas. Une société qu’on baserait sur elle, ne pourrait vivre. Pendant des siècles, on a cru remédier au mal par la charité. Mais le monde a craqué ; et, aujourd’hui, on propose la justice… La nature est-elle juste ? Je la crois plutôt logique. La logique est peut-être une justice naturelle et supérieure, allant droit à la somme du travail commun, au grand labeur final.