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LES ROUGON-MACQUART.

chaient aux pauvres diables. Elle était tout près de lui, elle lui semblait pourtant bien honnête, avec sa grande figure calme, serrée au front par un foulard noir et jaune. Elle pouvait avoir trente-cinq ans, un peu forte, belle de sa vie en plein air et de sa virilité adoucie par des yeux noirs d’une tendresse charitable. Elle était certainement très-curieuse, mais d’une curiosité qui devait être toute bonne.

Elle reprit, sans s’offenser du silence de Florent :

— Moi, j’ai eu un neveu à Paris. Il a mal tourné, il s’est engagé… Enfin, c’est heureux quand on sait où descendre. Vos parents, peut-être, vont être bien surpris de vous voir. Et c’est une joie quand on revient, n’est-ce pas ?

Tout en parlant, elle ne le quittait pas des yeux, apitoyée sans doute par son extrême maigreur, sentant que c’était un « monsieur, » sous sa lamentable défroque noire, n’osant lui mettre une pièce blanche dans la main.

Enfin, timidement :

— Si, en attendant, murmura-t-elle, vous aviez besoin de quelque chose…

Mais il refusa avec une fierté inquiète ; il dit qu’il avait tout ce qu’il lui fallait, qu’il savait où aller. Elle parut heureuse, elle répéta plusieurs fois, comme pour se rassurer elle-même sur son sort :

— Ah ! bien, alors, vous n’avez qu’à attendre le jour.

Une grosse cloche, au-dessus de la tête de Florent, au coin du pavillon des fruits, se mit à sonner. Les coups, lents et réguliers, semblaient éveiller de proche en proche le sommeil trônant sur le carreau. Les voitures arrivaient toujours, les cris des charretiers, les coups de fouet, les écrasements du pavé sous le fer des roues et le sabot des bêtes, grandissaient ; et les voitures n’avançaient plus que par secousses, prenant la file, s’étendant au delà des regards, dans des profondeurs grises, d’où montait un brouhaha confus. Tout le long de la rue du Pont-Neuf, on dé-